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MUSIQUE CLASSIQUE - OPÉRA

Brian Ferneyhough lance un défi à l'opéra dans "Shadowtime"

LE MONDE | 30.10.04 | 15h44

A Nanterre, un essai d'art lyrique par le compositeur radical anglais.


Né en 1943, Brian Ferneyhough, qui vient d'écrire un opéra, Shadowtime, donné au Théâtre des Amandiers de Nanterre le 26 octobre, dans le cadre du Festival d'automne, appartient à une génération et plus encore à un mouvement artistique qui ont systématiquement fait table rase du passé. Or il n'existe pas de genre plus chargé de conventions que celui de l'opéra.

A la différence de Helmut Lachenmann - son alter ego dans la complexité et la radicalité -, qui désignait son essai d'art lyrique, La Petite Fille aux allumettes, par l'appellation de "musique avec images", Brian Ferneyhough ne récuse pas le terme d'opéra pour Shadowtime. Il traite même son sujet - la vie et l'œuvre du philosophe Walter Benjamin - en recourant à sept scènes très typées.

A l'instar d'Alban Berg dans Wozzeck, Brian Ferneyhough articule chaque phase du livret sophistiqué du poète américain Charles Bernstein à partir d'un procédé d'écriture plus ou moins ancien : quolibet, motet, canon, fugue... Un tel travail n'est accessible que par une minutieuse analyse de la partition. Le compositeur anglais confie presque tous les rôles (de l'anonyme aubergiste au pape Pie XII en passant par Jeanne d'Arc, Hitler, Groucho Marx et Karl Marx) aux solistes d'un chœur régulièrement rassemblé à l'antique. Seuls se détachent le personnage-clé (Benjamin, jouet d'une fatalité onirique) et le narrateur (version britannique de Monsieur Loyal).

Comme d'habitude, la musique de Brian Ferneyhough oscille entre pointillisme précieux et tachisme frénétique. Il arrive qu'une page émerge du lot. C'est le cas d'un phonétique Motetus absconditus (vraie signature du compositeur !) chanté a cappella ou d'un humoristique Opus contra naturam (au titre encore très révélateur) de pianiste-récitant à Las Vegas. Le plus souvent, comme lors de la deuxième scène aux allures de concerto de guitare, la représentation se révèle inutile, sinon impossible.

Brian Ferneyhough part battu dans le défi à l'opéra. Frédéric Fisbach évacue alors toute forme d'illusion dans une mise en scène qui devient, in fine, plus efficace en montrant l'envers du décor, les machinistes et les coulisses qu'en manipulant (pendant deux heures dix sans entracte) des poupées de chiffon grandeur nature.

Pierre Gervasoni

Festival d'automne à Paris. Shadowtime (création française). Musique de Brian Ferneyhough sur un livret de Charles Bernstein. Mise en scène de Frédéric Fisbach. Avec Nicolas Hodges (narrateur, piano), Mats Scheidegger (guitare), Ekkehard Abele (Walter Benjamin), Neue Vocalisten Stuttgart, Nieuw Ensemble Amsterdam, Jurjen Hempel.
Théâtre Nanterre-Amandiers, le 26 octobre.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 31.10.04